LETTRE OUVERTE – à la société Tozzi Green – aux banques belge BIO et finlandaise FINNFUND – au gouvernement italien

Mesdames et Messieurs.

Nous, organisations paysannes et organisations de la société civile malgache, écrivons cette lettre pour vous informer des intimidations et des fortes pressions que subissent les habitants de la commune d’Ambatolahy dans la région d’Ihorombe à Madagascar, où l’Etat malgache a loué à la société multinationale italienne Tozzi Green 11 000 hectares de terres dans le cadre de 2 contrats de location de 30 ans chacun en 2012 puis en 2018. L’entreprise dit avoir restitué 3 900 hectares.

Lorsque la culture du jatropha par l’entreprise dans les municipalités de Satrokala et Andiolava a échoué, elle a été remplacée sur de vastes zones dans ces deux communes et dans celle d’Ambatolahy par la culture du maïs pour l’alimentation animale, ainsi que par du géranium transformé en huile essentielle principalement. L’entreprise a décidé à présent de remplacer les plantations de maïs par des arbres pour obtenir des crédits carbone.

Vous, société Tozzi Green, savez que depuis votre arrivée dans la région, les habitants de la commune d’Ambatolahy avaient refusé d’abandonner leurs terres. Ils vivent en effet de l’élevage et de l’agriculture et ont besoin de leurs terres pour réaliser leur élevage de zébus qui nécessite une grande superficie de terre pour les zones de pâturage. En outre, ils disent avoir beaucoup d’enfants, et doivent agrandir les surfaces de culture de denrées alimentaires pour l’alimentation de leurs familles. En plus du rôle important des zébus dans leur vie et leurs traditions, ils les utilisent pour piétiner les champs au moment du labour.

L’entreprise est financée par plusieurs banques, parmi lesquelles les banques de développement belge BIO et finlandaise FINNFUND.

Les communautés d’Ambatolahy affirment que les activités de l’entreprise n’ont pas apporté le développement de la majorité de la population, mais a plutôt augmenté leurs difficultés car les surfaces où le cheptel pouvait se déplacer et brouter était devenue plus restreinte. Le bétail n’est pas en bonne santé et ne met plus bas chaque année comme auparavant. La pénétration des zébus sur les plantations de l’entreprise a causé divers problèmes tels que des sanctions financières élevées. Par ailleurs, elles ont rapporté qu’Il était devenu difficile pour les zébus de se rendre sur les terres de culture pour piétiner les rizières et autres champs. L’entreprise avait déclaré qu’elle donnerait du travail aux habitants, mais la majorité des emplois était des travaux temporaires, voire journaliers, avec un salaire perçu souvent avec retard. La société n’a pas tenu certaines des promesses qu’il avait faites pour améliorer la vie des habitants.

Le nouveau projet de l’entreprise consisterait en plantations de monoculture d’acacias principalement, ainsi que d’eucalyptus rouge qui serait transformé en huile essentielle. Les habitants ont signé une pétition en octobre 2023 pour déclarer leur opposition car cela signifie pour eux que la société restera dans la zone indéfiniment. Puis en avril 2024, des responsables d’associations des lonaky (autorités traditionnelles), de l’association des éleveurs, du Comité de défense des terres et d’une fédération d’organisations paysannes ont écrit à l’Office National pour l’Environnement (ONE) que leurs organisations n’ont pas été invitées aux réunions de consultation publique sur le projet de reboisement et qu’elles s’opposent au projet de plantation d’arbres de Tozzi Green parce que eux, les habitants, connaissent les endroits où ils peuvent et doivent planter des arbres, qui ne nuisent pas aux zones de pâturage de leurs zébus et ont déjà envisagé une collaboration à ce sujet avec le projet PLAE – Programme de Lutte Antiérosive – qui s’engage à consulter les communautés sur les endroits où le faire.

Depuis,

  • des représentants de l’entreprise ont approché les lonaky et les représentants des organisations pour les persuader de changer d’avis et d’accepter le projet de l’entreprise,
  • puis des commandants de gendarmerie ont discuté de manière individuelle avec 5 hommes, des lonaky et des responsables associatifs, mais ces derniers maintiennent leur refus,
  • Depuis une semaine maintenant, la responsable des relations publiques de l’entreprise est arrivée sur le terrain et mène les opérations de persuasion en compagnie des officiers de gendarmerie dont on dit qu’ils servent d’intermédiaire dans les débats entre la représentante de l’entreprise et les communautés mais sans succès,
  • Une rencontre a eu lieu le lundi 13 mai entre cette responsable de l’entreprise et deux officiers de gendarmerie d’un côté, et les 5 personnes soutenues par une vingtaine de ray aman-dreny (Aînés) de l’autre. Les membres de la communauté ont confirmé le refus du projet de plantation d’arbres. A la fin de la rencontre, il a été convenu que la représentante de la société serait chargée de la rédaction du compte-rendu de la réunion. Les habitants d’Ambatolahy attendent donc le compte-rendu de la réunion que leurs représentants devraient signer.

Nous, organisations paysannes et organisations de la société civile malgache, sommes très inquiets de la poursuite interminable de cet effort de persuasion avec l’aide d’officiers de la gendarmerie et de l’évolution de la situation.

Les communautés d’Ambatolahy ont le droit de protéger leurs terres, leur culture et leurs moyens d’existence. Elles ont le droit d’exprimer leur refus comme tous les citoyens du monde et de le maintenir si cela correspond à leur conviction et s’ils trouvent qu’un refus est approprié, surtout au vu des résultats des activités de l’entreprise Tozzi Green dans leur région depuis plusieurs années.

C’est pourquoi nous écrivons et informons l’opinion publique nationale et internationale de la situation actuelle et demandons le soutien de tous les citoyens de Madagascar, d’Italie, de Belgique, de Finlande et du monde qui accordent de l’importance à la justice et à l’équité, à la liberté de pensée et d’expression et à la possibilité de garder ses opinions librement sans intimidations ni pressions directes et indirectes.

Comme ils l’ont écrit, les habitants d’Ambatolahy ne sont pas contre le développement mais le souhaitent pour la majorité voire tous les habitants. Leur région souffre de sécheresse due au changement climatique, mais cela fait plus de 15 ans que le marché carbone et la compensation carbone ont été créés, le changement climatique dans le monde ne semble pas ralentir. Au contraire, ses conséquences s’aggravent. Ils disent donc ne pas soutenir les projets de crédit carbone. Ils connaissent les avantages du reboisement et sont prêts à planter des arbres là où ils pensent que cela peut être fait sans nuire au développement de l’élevage de zébus, à leurs sources de revenus ni à l’avenir de leurs descendants.

16 mai 2024

 

Signatures

Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY

Comité National pour l’Agriculture Familiale

FIFATA – Association pour le Progrès des Paysans

Solidarité des Intervenants sur le Foncier – SIF

VFTM Menabe

VFTM Vakinankaratra

Vombo Bongolava

Fikotamifi Itasy

Fimpiama Haute Matsiatra

Fagnimbona Vatovavy sy Fitovinany

Vifam Alaotra Mangoro

Ffts Sofia

Sahi Haute Matsiatra

Rova Vakinankaratra

Fifatam Amoron’i Mania

Réseau Conseillers Agricoles de proximité – CAP Malagasy – BIMTT

Coalition des Paysans de Madagascar – CPM

ONG FIANTSO Madagascar

Réseau SOA – Syndicat des Organisations Agricoles

SIF Province Fianarantsoa

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