Quelques réflexions sur les Îles Éparses

Une grande réunion concernant les Iles Eparses se tiendra ce lundi au Palais du Premier ministre à Andafiavaratra entre la France et Madagascar. Avant ce sommet, voici quelques réflexions qui pourront nous aider à se situer, dont une interview du professeur Raymond Ranjeva dans Jeune Afrique (Par Emre Sari – 2019). 

Au moment de l’indépendance de Madagascar en 1960, l’intérêt géopolitique des îles Éparses de l’océan Indien est central, ces îles étant situées sur une importante route maritime permettant de relier l’Asie et le Moyen-Orient à l’Europe et l’Amérique, comportant une importante zone économique exclusive (ZEE) et pouvant servir de site d’essai nucléaire. C’est dans ce contexte que le général de Gaulle réaffirme l’importance de l’absence de prétentions de souveraineté de Madagascar sur ces îles :

« Je mets en garde le Quai d’Orsay pour n’importe quelle emprise de Madagascar sur les îles et îlots français avoisinants. Cela ne se justifie d’aucune manière et risque d’entraîner des inconvénients. Les îles et îlots peuvent revêtir pour nous une importance réelle, notamment en ce qui concerne nos expériences atomiques. Je n’approuve donc pas qu’on introduise Madagascar en quoi que ce soit qui se passe dans ces îles, notamment en ce qui concerne la météo. » (Note de Charles de Gaulle à Jacques Foccart du 3 juillet 1961 citée par Pierre Caminade, Comores-Mayotte : une histoire néocoloniale, Marseille, Éditions Agone, 2003, p. 26).

En 2019, le président de la République françaiseEmmanuel Macron, se montre disposé à « un dialogue pour aboutir à une solution commune » par la mise en place d’une commission mixte avec Madagascar, sans avoir recours à une juridiction internationale.

Les îles Éparses font l’objet de plusieurs revendications

  • Tromelin, découverte par la France en 1722, est revendiquée depuis 1976 par la république de Maurice, qui considère que l’île aurait dû demeurer sous souveraineté britannique à la suite du traité de Paris de 1814.
  • Dans le cadre de leur revendication de Mayotte, les Comores revendiquent la souveraineté sur les îles Glorieuses (incluant le banc du Geyser), qui étaient rattachées à Mayotte avant que les Comores ne soient administrées depuis la colonie de Madagascar et dépendances.
  • Depuis 1972, Madagascar revendique les îles Europa, Bassas da India et Juan de Nova, ainsi que le banc du Geyser.

Concernant les trois îles du canal du Mozambique (Europa, Bassas da india et Juan de Nova), la revendication de l’État malgache portée devant l’ONU en décembre 1979 a amené cette dernière à adopter la résolution 34/91, « invitant le Gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le Gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles précitées qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar ». En effet, juste avant l’accession de Madagascar à l’indépendance en 1960, ces îles en ont été séparées par un décret du Gouvernement français. La même résolution de l’ONU reconnaît que cette séparation est constitutive d’une violation du principe de respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’État malgache.

L’année suivante, faute d’exécution de la résolution de 1979, la même assemblée a demandé au Gouvernement français d’entamer d’urgence avec le Gouvernement malgache des négociations en vue de trouver une solution conforme aux buts et principes de la Charte des Nations unies.

Le contentieux est exacerbé depuis le début du XXIe siècle par la présence supposée d’importants gisements de pétrole (estimés à plus de 10 années de consommation française) sur l’île Juan de Nova et les demandes d’extension des permis d’exploration par les sociétés Sapetro et Marex Petroleum étaient restées longtemps en attente de signature de la part du gouvernement français. Sur injonction du tribunal de la Réunion, saisie par les deux sociétés, l’État français a été condamné à signer ces extensions en octobre 2015.

L’interview de Raymond Ranjeva  dans Jeune Afrique: « Le problème juridique des îles Éparses est clos »

Pour l’ancien vice-président de la Cour internationale de justice, Raymond Ranjeva, une cogestion franco-malgache des îles Éparses est « un non-sujet », l’assemblée générale de l’ONU ayant reconnu la souveraineté d’Antananarivo sur ces territoires depuis 1979.

Il a changé la donne sur le dossier des îles Éparses. Ou plutôt des Îles malgaches de l’Océan Indien, comme il les appelle à la suite de la résolution 34/91 de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations-unies. En 1979, Raymond Ranjeva et son équipe ont obtenu le vote de ce texte qui demandait au gouvernement français d’entamer « sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles, qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar ».

Mais le différend demeure depuis. Le 29 mai 2019 à Paris, Andry Rajoelina et Emmanuel Macron ont promis une solution d’ici au 26 juin 2020, soixantième anniversaire de l’Indépendance. Ils ont annoncé la création d’une « commission mixte »- ou plutôt sa réactivation, une institution de ce type ayant siégé pour la première fois en septembre 1990 à Paris…

Raymond Ranjeva est aujourd’hui président de l’Académie malgache, le plus prestigieux organisme de recherche et de réflexion du pays. Il a aussi occupé les fonctions de juge et vice-président de la Cour internationale de justice (CIJ) de 1991 à 2009. Il livre, pour Jeune Afrique, sa vision de cette question qui complique depuis des décennies les relations entre Paris et Antananarivo.

Jeune Afrique : Andry Rajoelina a demandé à Emmanuel Macron de « trouver une solution pour la gestion ou la restitution des îles Éparses à Madagascar ». N’est-ce pas se mettre en situation d’infériorité de demander une solution sans amener de proposition ?

Raymond Ranjeva : C’est une interprétation. Moi, je constate simplement que si on parle de « solution », c’est qu’il y a un problème. Alors que le problème juridique est clos. En 1960, c’était une décolonisation tronquée. Les îles ont été coupées du territoire de Madagascar par un acte unilatéral de l’Autorité française le 4 avril, après la clôture des négociations, à la veille du paraphe des accords en vue de l’indépendance.

C’est une date qui, au regard de la pratique du droit international, relève de la période dite « suspecte » au cours de laquelle les parties prennent, hors débats, des actes unilatéraux. Les membres de la délégation malgache de 1960 que j’ai interrogés m’ont dit que ces petites îles n’ont jamais été évoquées. À mon avis, c’est ce qui s’est passé. Et nous nous sommes servis de cet argument en 1979.

Mais les résolutions de l’assemblée générale de l’ONU ne sont pas contraignantes…

Cette assemblée constate le droit. En outre, si vous regardez le dernier avis de la CIJ sur les Îles du Chagos, en 2019, vous verrez dans l’exposé des motivations qu’il est pris acte de la résolution de 1979 sur les Îles malgaches. La CIJ, par voie judiciaire, consolide donc la validité juridique de la résolution de 1979, et l’existence d’obligations qui en découlent. Maurice n’aurait d’ailleurs jamais eu de titres sur les Chagos sans notre résolution de 1979.

Pour quiconque a fait du droit, il est évident que le problème juridique est clos… Par ailleurs, la co-gestion est un non-sujet. Le Sénat français a déjà refusé cette proposition sur le différend de l’île de Tromelin, avec Maurice.

Quels étaient vos arguments en 1979 ?

Purement juridiques. Il n’y avait pas de considérations géopolitiques. À l’époque, la France nous a dit : « Ces îles n’ont strictement aucun intérêt ». L’appellation « îles Éparses » est d’ailleurs une manifestation du désintérêt français vis-à-vis de ces îles à l’époque, et a une connotation colonialiste aujorud’hui.

Quel est l’intérêt de ces îles à présent et comment expliquez-vous ce revirement ?

L’espace océanique est actuellement au cœur d’une globalisation, qu’on définit par la mise en place de stratégies et de structures commerciales menant à un marché unique mondial. Il est aussi vital d’un point de vue environnemental, car la mer risque de mourir si on ne fait rien. Et ces îles disposent de réserves en hydrocarbures.

Les Malgaches comme les Français s’interrogent sur la possibilité pour Madagascar d’exploiter le potentiel de ces îles, voire même d’y exercer leur souveraineté, vu les faibles ressources humaines et matérielles du pays…

C’est un faux problème ! Dans un cadre de globalisation, une approche exclusivement souverainiste n’a pas de sens. Même dans le cadre européen, chaque État ne gère pas séparément sa politique maritime ! Pourquoi ne pas penser à une gouvernance mondiale des océans ? Aujourd’hui, il nous faut des institutions universelles avec une gestion équitable qui assure la justice et la paix. Voilà le vrai problème ! Mais la souveraineté malgache doit demeurer car la participation de Madagascar à cette autorité est justement conditionnée par cette souveraineté.

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