RÉHABILITATION DES ROUTES : Réfection fantaisiste et anarchique des rues de la capitale

Qui ne s’est jamais plaint de l’état déplorable des rues et des réseaux d’assainissement dans les quartiers d’Antananarivo ? Ce fut à partir de cette question que le Sefafi lance sa réflexion sur les travaux de construction et de réhabilitation des routes dans la ville d’Antananarivo.  Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas apprécier les réfections censées assurer une circulation fluide au centre-ville et vers les périphéries. Reste à garantir leur pérennité et à optimiser leur impact sur tous les usagers. L’intransigeance manifestée sur le strict respect des cahiers de charges annoncée par le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Habitat et des Travaux Publics ainsi que les instructions de reprise de certains travaux mal exécutés constituent des notes positives.

Des entreprises peu professionnelles

Mais visiblement, la qualité des travaux varie d’une entreprise à une autre, d’un quartier à un autre : « les cahiers de charges diffèrent-ils selon le statut des communes et des arrondissements concernés ? », se demande le Sefafi dans son communiqué du 26 décembre.  Les entreprises adjudicataires des marchés et leurs sous-traitants ont tous leur manière de conduire les travaux : très brouillonne pour certaines, plus méthodique et rigoureuse pour d’autres. Quelques-unes, adeptes des travaux au moindre coût, ne soucient ni de la qualité des matériaux ni de la performance de leurs équipements ! En plein XXIème siècle et pour des chantiers de grande envergure, elles en sont toujours aux vieux compacteurs peu appropriés au terrassement routier, aux bétonnières mécaniques de petite dimension, d’une capacité de cuve de moins de 100 litres et peu adaptées aux gros œuvres, aux truelles de maçon et aux kofafa (balais) pour les travaux de revêtement et de finition des trottoirs.

Rien d’étonnant si les calendriers n’ont pu être honorés. Avec une main-d’œuvre très bon marché, recrutée presque sans critère, peut-on s’attendre à des ouvrages de qualité ? Les ouvriers peu qualifiés, juste habitués aux petits travaux de maçonnerie, sont livrés à eux-mêmes sans l’assistance de chefs ou de surveillants de chantier. La pose de pavés, qui demande un savoir-faire éprouvé, en est la preuve : pour rehausser le niveau d’une rue pavée, on n’a pas trouvé mieux que de défoncer la partie jouxtant les rebords des trottoirs, d’étaler une couche de latérite, de redisposer les pavés et de les recouvrir de latérite sans se préoccuper de leur assise. Et comme il fallait s’y attendre, la première pluie a emporté les couches de latérite et la chaussée s’est affaissée.

De telles imperfections auraient pu être détectées avec un contrôle et un suivi en interne au sein des entreprises adjudicataires, et en externe à travers les services techniques des ministères et les bureaux de contrôle et de surveillance des travaux publics. Plutôt que de procéder à des inaugurations officielles avec leurs interminables discours, il aurait été plus judicieux que les responsables étatiques et ministériels fassent des descentes inopinées, constatent de visu la qualité des travaux et prennent les mesures qui s’imposent.

Piétons sacrifiés, handicapés inexistants

Les piétons ne savent plus où mettre les pieds

Mais les grands perdants de ces chantiers, ce sont des piétons ; un oubli scandaleux, alors qu’ils représentent probablement 95% des usagers de la route. Dans certaines communes, la largeur des trottoirs n’obéit à aucune norme, quand ils ne disparaissent pas, à l’instar des passages piétons. À Bemasoandro et Andranonahoatra, entre autres, leur dimension varie en fonction des superficies squattées par les occupants illicites, les autorités n’ayant pas eu le courage de démolir les kiosques en bois et les constructions en dur, ni d’interdire les activités sur ces espaces dédiées aux nombreux piétons. Les rares cas d’élargissement profitent plutôt aux garagistes, aux quincailleries, aux salons de beauté, aux restaurants, aux débits de boissons, aux commerçants ambulants qui ont « privatisé » les trottoirs.

Et qui décide de l’installation ou de la suppression des passages pour piétons ? Avant les travaux, ils étaient rares, établis n’importe où, avec un tracé quai-illisible. Après, les plus utiles et les plus fréquentés ont été supprimés : ainsi des passages protégés qui permettaient aux citoyens d’accéder à la mairie du IV° arrondissement ; non loin de là, le passage protégé menant au marché de Soamanatombo est bien marqué sur la route, mais les quatre bordures de trottoir à franchir n’ont pas été abaissées ! Tout à côté et en face du Sénat par contre, 50 mètres avant le rond-point d’Anosy, un nouveau passage a été aménagé pour les luxueuses berlines de nos sénateurs, qui n’auront plus à contourner le rond-point…

Quant aux handicapés, réjouissons-nous, il semble qu’il n’en existe plus un seul dans l’agglomération d’Antananarivo ! Sinon, on aurait aménagé les trottoirs pour faciliter l’accès des fauteuils roulants aux bâtiments publics et aux commerces. Oui, les concepteurs des travaux ne se soucient guère du quotidien de la population, mais ils sont pleins de prévenance pour nos dirigeants.

Laxisme juridique et irresponsabilité économique

Tout semble permis, puisque chacun fait fi des règlements concernant l’implantation de constructions sur les voies et emprises publiques avec parfois une permissivité étonnante de l’administration. Toujours sur cet axe, la plupart des poteaux électriques se retrouvent dans une cour d’école ou d’habitation, jusqu’à trôner parfois au beau milieu d’une pièce d’une maison ! L’agglomération d’Itaosy ne fait pas exception. Cette situation se retrouve dans bien des quartiers de la capitale comme les 67ha, Antohomadinika, etc. Le long des routes nationales, il n’est pas rare de voir des bornes kilométriques incluses dans des domaines privés, a remarqué le Sefafi.

Qui respecte encore les dispositions du code de la route ? Les infractions telles que les stationnements et arrêts pour déchargement sur les trottoirs, la circulation des charrettes à bœufs aux roues cerclées de fer et des camions au gabarit inadapté au réseau local, la transformation de portions de places, de rues et de trottoirs en lieu de vente de véhicules d’occasion, le lavage des voitures sur la voie publique, tout est toléré, alors que tout cela fragilise les infrastructures.

L’eau est l’ennemi numéro un des routes. L’absence de canalisation et de système collectif d’assainissement, devenue de plus en plus critique avec la prolifération de constructions illicites, n’a pas facilité la tâche des entreprises adjudicataires des travaux. Avec l’indiscipline et l’incivisme des riverains, les ouvrages de drainage des eaux de pluie sont déjà transformés en dépotoirs d’ordures liquides ou solides, en canaux d’évacuation des eaux usées domestiques ou de déversement des rejets des sanitaires, sans que les édiles communaux ni les fokontany ne daignent lever le petit doigt.

Et comment ne pas évoquer les pertes économiques générées par ces chantiers urbains ? Ailleurs dans le monde, ces travaux se font de nuit ; ce ne sont sûrement pas les ouvriers qui s’y sont opposés, car cela aurait amélioré leur maigre salaire ; d’où vient alors le blocage ? Quand on sait que la capitale produit plus de 40% de la richesse nationale, a-t-on réfléchi aux millions d’heures de travail perdues dans les embouteillages interminables, au carburant gaspillé et à la pollution générée ? Autre perte économique collatérale. Il est d’usage ailleurs, quand on refait une rue – surtout dans une capitale -, de commencer par enterrer les réseaux (eau, électricité, tout à l’égout, fibre optique, etc.), ou de changer ce qui est usé et obsolète. Rien de tout cela n’a été entrepris. Demain donc, on creusera à nouveau des tranchées dans les rues refaites, pour l’assainissement…

L’insuffisante réaction des pouvoirs publics, associée à l’incivisme de la population et à l’amateurisme de certaines entreprises de travaux publics, ne concourent guère à la pérennité des travaux réalisés. Tant que l’on n’aura pas la volonté d’appliquer les textes en vigueur, d’exiger le respect des cahiers de charges, tant qu’on n’aura pas le courage de sanctionner, la réfection des infrastructures routières et des ouvrages d’art demeurera un gouffre financier. Et le fardeau des dettes continuera à hypothéquer l’avenir des générations à venir.

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